Parmi les risques émergents que j’ai évoqué dans mon dernier post, ceux liés au développement rapide des bactéries résistantes aux antibiotiques est l’un des plus préoccupants. L’OMS vient de lancer une alerte dans un rapport qui analyse les données disponibles dans 114 pays. À vrai dire, ce n’est pas qu’une alerte. C’est un cri d’alarme. Selon l’OMS, l’antibiorésistance n’est pas une menace, c’est une réalité qui touche d’ores et déjà tous les pays et toutes les catégories de population.
La liste des bactéries concernées est très longue. Certaines sont responsables de maladies graves comme les septicémies ou les pneumonies. D’autres provoquent des maladies habituellement banales, mais que l’inefficacité des antibiotiques transforme en pathologies mortelles (diarrhée, infection urinaire) ou invalidantes (gonorrhée). En Europe, on estime que les bactéries résistantes sont responsables de 25.000 morts par an. Selon l’Institut de veille sanitaire, 70.000 cas annuels d’infection urinaire sont résistants aux antibiotiques usuels.
Les raisons d’une telle situation sont connues : pression de sélection accrue par un usage inapproprié, tout particulièrement chez les animaux d’élevage ; mauvais respect des mesures d’hygiène qui favorise la transmission interhumaine, notamment dans les établissements hospitaliers ; traitements prématurément interrompus…
Comment agir ? La première solution qui vient à l’esprit est de développer de nouveaux antibiotiques. Mais ce n’est pas si simple parce que ce n’est pas une priorité reconnue comme rentable par les firmes pharmaceutiques. Dans la plupart des cas, la durée des traitements est de quelques semaines. Rien à voir, donc, avec des maladies comme l’hypertension artérielle ou le diabète que demandent des traitements à vie. Rentabiliser les coûts de développement de nouveaux médicaments à usage court suppose des prix de vente que les systèmes d’assurance maladie vont avoir de plus en plus de mal à supporter. Le constat est clair : depuis 2003, seuls sept nouveaux antibiotiques ont été mis sur le marché.
Dès lors, les solutions sont plus complexes. Elles mettent en jeu les comportements des soignants et ceux des patients ainsi que les pratiques en médecine vétérinaire. Pour cela, la condition première est une prise de conscience de la réalité de ce risque. Or, on en est loin, même si la surveillance épidémiologique du problème s’est bien développée, y compris en France. Mais il faut aller plus loin et en faire une priorité de veille sanitaire. Car, la possibilité que le 21e siècle soit une ère post-antibiotique est bien réelle. Il est à craindre que ce que l’on a connu au début de l’épidémie de Sida ne se répète. Au début des années 80, lorsque l’épidémie fut détectée, il a fallu plusieurs années pour qu’elle soit prise au sérieux. C’est quand des personnes célèbres en ont été victimes, que l’on a réalisé la gravité de ce risque. Mais il était trop tard, le point d’inflexion de la courbe épidémique avait été franchie.
Récemment une des meilleures revues scientifiques du monde, Nature, a publié un article qui plaide pour la création d’un partenariat international entre les gouvernements, les instituts scientifiques et les industriels du médicament, analogue au panel intergouvernemental sur le changement climatique. Certes, on peut se dire que l’OMS est là pour cela. Mais j’ai souligné ses faiblesses dans mon post du 1er juin dernier. Seule une action globale peut permettre de répondre à un problème de santé globale. La création d’une nouvelle et puissante institution internationale est peut être un passage obligé pour que la gravité de l’enjeu soit reconnue. Et pour que l’on puisse aider efficacement les pays pauvres chez qui l’usage des antibiotiques est non régulé, ce qui en fait une bombe infectieuse.
Faudra-t-il attendre le décès d’un chef d’État ou d’une vedette pour l’obtenir ?